mercredi 14 septembre 2011

Alaya (bouddhisme tibétain) Chögyam Trungpa


Repose dans la nature de l'alaya, l'essence

Ce slogan nous dit que la méditation assise, pratiquée avec compréhension du bodhichitta ultime, permet de court-circuiter réellement les septs types de conscience pour reposer enfin dans la huitième, l'alaya. Les six premières consciences sont reliées aux perceptions sensorielles :
1- conscience visuelle ;
2- conscience auditive ;
3- conscience olfactive ;
4- conscience gustative ;
5- conscience tactile ;
6- conscience mentale ou principe coordinateur fondamental qui organise les cinq autres consciences.

7- Le septième type de conscience est l'esprit-problème ; c'est une espèce de conglomérat qui injecte de l'énergie dans tout ça. En Tibétain, elle se dit nyön-yi, nyön étant une abréviation de nyönmong [Sanskrit klesha], qui veut dire littéralement "embêtement", "souillure", "névrose", et yi signifiant "esprit"

Reposer son esprit dans l'alaya fondamental équivaut à s'affranchir de ces sept aspects de l'esprit et à reposer dans la simplicité, dans un aspect de l'esprit qui est clair et ne fait pas de discrimination. On commence à sentir que les formes, les odeurs, les sons et tout le reste sont une production du quartier général, qu'ils ont été mis au point par l'état-major. On les reconnaît, puis on retourne au quartier général, où ces productions ont commencé à se manifester. On repose simplement dans l'inutilité de ces productions.

Il existe donc une espèce de lieu de repos ; on pourrait dire que c'est une forme primitive de shamatha. Il y a un point de départ ou de retour. Vous pouvez, par exemple, me regarder et pendant que vous me regardez vous pouvez aussi vous observer vous-même. Mais si vous poussez votre observation au-delà de vous-même, vous découvrirez qu'un certain type de radar est déjà en place. Il s'agit donc de reposer dans l'alaya au sein du radar, de reposer au lieu même d'où émanent les ordres et l'information.

Cette logique, ou ce processus, suppose que l'on a déjà une certaine confiance en soi au départ. On est déjà parvenu à se détendre avec soi-même dans une certaine mesure. C'est cela, le message du bodhichitta ultime : on n'a pas besoin de toujours s'évader de soi-même en essayant de trouver quelque chose à l'extérieur. On peut tout simplement rentrer chez soi et se détendre. On peut revenir à la douceur du foyer.

On essaie donc de bien se traiter, mais sans s'en tenir à une logique préconçue ou à une quelconque idée fixe conceptuelle, y compris les pensées discursives. Reposer dans la nature de l'alaya signifie aller au-delà des six consciences sensorielles et même au-delà de la septième conscience, le processus discursif profond qui engendre les six autres consciences. Le principe primordial de l'alaya les contourne toutes. Même dans une situation ordinaire, si l'on arrive à tout retracer jusqu'aux origines, on découvrira un certain palier de repos primitif. Et il est possible de reposer dans cette existence primordiale et fondamentale, ce niveau existentiel.

À partir du principe de l'alaya fondamental, nous passons ensuite à l'alaya vijñana ou conscience de l'alaya, où les distinctions sont déjà présentes. Il se crée dès lors une séparation entre ceci ou cela, entre un individu et un autre, entre un objet et un autre. C'est la notion de conscience ; on pourrait même parler de "conscience de soi", au sens de savoir qui est de notre bord et qui est du bord opposé, pour ainsi dire.

Le principe de l'alaya primordial n'a aucun parti pris, c'est pourquoi on l'appelle "vertu naturelle". Il est neutre. Il n'est ni masculin ni féminin ; par conséquent il n'est ni d'un bord ni de l'autre, et il n'implique aucune séduction. Par contre, la conscience de l'alaya a déjà un parti pris. Elle est soit masculine, soit féminine, parce qu'elle suppose le concept de séduction.

L'éveil primordial, ou sugatagarbha, se trouve au-delà de l'alaya, tout en allant dans le même sens que l'alaya. Il est antérieur à l'état d'alaya, mais il l'englobe. L'alaya possède la bonté fondamentale, c'est vrai, mais sugatagarbha est plus grande. Il est éveil en soi. Dans cet optique même l'alaya primordiale peut être vu comme forme de conscience. Bien qu'il ne soit pas officiellement au rang des consciences, il est déjà une espèce de vigilance ; il est peut-être même une forme d'esprit samsarique. Par contre, le sugatagarbha est antérieur à cela. il est indestructible ; c'est l'ancêtre de l'alaya, son progéniteur.

Le processus de la perception, notamment celui du premier instant de perception d'un objet des sens, est une conjonction de plusieurs éléments.
- Il y a les mécanismes concrets qui appréhendent des objets, qui sont des organes physiques tels que les yeux, les oreilles, etc.
- Ensuite, il y a les facultés mentales qui se servent de ces instruments pour réfléchir sur certains objets.
- Et si l'on va plus loin, il y a une intentionnalité, une fascination ou curiosité qui cherche à savoir comment établir une relation avec l'objet en question.
- En reculant encore plus, le plus loin possible, on verra qu'il existe une expérience fondamentale qui sous tend cela ; c'est ce qu'on appelle le principe de l'alaya.

Selon ce texte sur le lojong, cette expérience porte le nom de bonté fondamentale. Le présent slogan renvoie donc à une expérience, et non seulement au processus mécanique et structurel de la projection. Ce processus est analogue à un projecteur de cinéma. Il y a l'écran, le monde phénoménal. Puis on se projette soi-même sur le monde phénoménal. Finalement il y a le film, qui est l'inconstance de l'esprit qui change de cadrage tout le temps. Cela donne un objet en mouvement projeté sur l'écran. L'objet en mouvement est produit mécaniquement par les divers mécanismes du projecteur, avec ses nombreux engrenages qui guident la pellicule et ses dispositifs qui assurent la continuité de la projection. C'est tout à fait analogue aux organes des sens. On regarde et on écoute ; donc, quand on écoute, on regarde. On relie les choses entre elles au moyen du temps, même si celles-ci changent sans cesse d'un instant à l'autre. Derrière tout cela se trouve l'ampoule, dont la lumière projette les images sur l'écran.

Cette ampoule est la cause de tout. Par conséquent, reposer dans la nature de l'alaya revient à reposer dans la nature de cette ampoule, qui se trouve au coeur du mécanisme du projecteur de cinéma. Comme l'ampoule, l'alaya est brillant et lumineux. L'ampoule demeure imperturbable face aux fluctuations de l'appareil. Elle ne s'inquiète pas de savoir si l'écran est en bon état ou si la projection de l'image s'effectue correctement.
[...]

Source : "L'entraînement de l'esprit et l'apprentissage de la bienveillance" de Chögyam Trungpa.